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Complainte sur la mort de Son Éminence

Complainte sur la mort de Son Éminence

Complainte sur la mort de Son Éminence

Chantons, peuples français, d’une voix assurée :

Ce grand prélat est mort, la chose est avérée,

Un jeudi de décembre au Palais cardinal.

La mort l’est venue prendre, elle ne fit pas mal.

Il fut admonesté par un grand personnage,

Disant, apprêtez-vous à ce rude passage,

Votre mort est certaine. Monsieur, ne vous fâchez

Si je me mets en peine de savoir vos péchés.

Lors il lui répondit d’une voix arrogante :

Monsieur, ni plus ni moins que cela vous contente,

Puisque ma conscience ne me reproche rien

Si ce n’est qu’à la France j’ai fait trop de bien.

Le curé demanda d’une façon soumise

(Car il craignait d’heurter ce pilier de l’Église)

Êtes-vous catholique, apostolique et romain ?

Mais il lui fit la nique et l’envoya bien loin.

Monsieur L’Escot, voyant qu’il ne voulait comprendre

Ce que le bon curé lui voulait faire entendre,

Lui dit : Il vous faut faire profession de foi,

Car si vous ne le faites, vous vous damnez, ma foi.

Croyez-vous en Dieu et au Fils comme au Père,

Et de La Trinité le célèbre mystère ?

Monsieur, lui dit cet homme, que vous m’importunez ;

Je suis prélat de Rome si vous en souvenez.

En même temps l’Escot reprit la parole,

Craignant que dedans peu de temps la pauvre âme s’envole.

Monsieur, faites qu’on sache si vous êtes soumis ;

Avez-vous pris plaisir aux douceurs de vengeance

Quand vous avez banni ce noble fils de France

Et sa très douce mère qui vous donna du pain,

Par vous morte en misère de là le bord du Rhin ?

Ne demandez-vous pas pardon au Dieu céleste

D’avoir assassiné, c’est chose manifeste,

Un prince de naissance et des grands écuyers,

Des maréchaux de France, des parlements entiers ?

N’avez-vous jamais fait quelque lubrique pièce,

N’avez-vous point joui de votre propre nièce ?

C’est le bruit de la ville, et des sages et des fous ;

Confessez votre faute et je vous en absous.

Ce pauvre moribond, à la mine de plâtre,

Lui dit : allez l’Escot, vous êtes un folâtre,

Si j’ai baisé ma nièce, je fais ce que je veux,

Et si j’avais la force je baiserais mes neveux.

C’est ainsi que mourut cet homme détestable,

Sans espoir de salut ; car chacun dit qu’un diable

Sortit hors de son lit, en forme de frelon,

Gros comme une citrouille et noir comme un poêlon.

Priez, peuples, à genoux la divine puissance,

Qu’il conserve toujours le noble sang de France,

Que Louis notre sire fleurisse à tout jamais

Et qu’à son pauvre empire il redonne la paix.

Numéro
*0335


Année
1642




Références

Tableau de la vie de Richelieu, p.172-76


Notes

Ci-gît 0275